M. le président. La parole est à M. Loïc Hervé.
M. Loïc Hervé. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, la situation des travailleurs saisonniers dans notre pays est très clairement problématique. C'est pourquoi je remercie nos collègues du groupe CRC d'avoir inscrit cette question à l'ordre du jour de la Haute Assemblée, ce qui nous permet d'engager ce débat.
Il convient de relever un paradoxe : alors que le travail saisonnier est devenu un élément incontournable de notre économie, les pouvoirs publics n'ont pas accompagné cette évolution majeure de notre marché du travail.
Oui, le travail saisonnier est aujourd'hui un atout clef de l'économie française.
L'Association des lieux d'accueil des travailleurs saisonniers, l'ALATRAS, estime à 1,6 million le nombre de travailleurs saisonniers et pluriactifs sur les quelque 29 millions d'actifs que compte la France. Le travail saisonnier représenterait donc plus de 5 % de l'emploi français. À l'heure où plus personne ne croit à l'inversion de la courbe du chômage, ce chiffre mérite d'être pris sérieusement en considération.
L'emploi saisonnier s'est, bien sûr, énormément développé avec le tourisme. Il recouvre les professionnels mobiles, ayant fait une école hôtelière ou des études de tourisme, les pluriactifs locaux et les jeunes à la recherche d'un premier emploi ou d'un emploi occasionnel.
La France demeurant la première destination touristique du monde, nous ne pouvons négliger ce phénomène.
Dans mon département de Haute-Savoie, par exemple, où les sports d'hiver occupent une place prépondérante dans l'activité économique, le travail saisonnier constitue un véritable poumon.
Le poids économique de l'emploi saisonnier dépasse d'ailleurs le seul secteur du tourisme. En effet, la saisonnalité est protéiforme et il ne faut pas négliger le travail saisonnier induit, avec les activités d'animation et de services à la personne. Le travail saisonnier occupe également une place centrale dans l'agriculture, ainsi que l'évoquera notre collègue Claude Kern tout à l'heure.
Pourtant, plus le travail saisonnier se développe, plus la situation des travailleurs saisonniers, dont nous avons si vitalement besoin, semble se dégrader.
À la suite de notre collègue Jean-Claude Requier, je rappellerai la mort de deux saisonniers dans l'incendie de leur caravane, sur le parking d'une station de mon département, au début de l'année 2013. Ce drame a tragiquement braqué les feux de l'actualité sur la question du logement des travailleurs saisonniers. Mais cette question, pour fondamentale qu'elle soit, ne représente, hélas, que l'un des aspects du problème.
Pour le dire de façon schématique, le problème est qu'il n'existe pas de statut du travailleur saisonnier. Une forme particulière d'emploi, induite par l'évolution de l'activité économique, s'est développée sans que notre droit en accompagne l'essor. Aussi, alors que nombre de travailleurs saisonniers construisent, année après année, une vie professionnelle d'une grande stabilité, leur statut juridique et social demeure placé sous le sceau de la précarité.
La question du logement est d'autant plus prégnante qu'elle doit être rapprochée de l'impossibilité dans laquelle sont les travailleurs saisonniers d'obtenir un prêt bancaire, compte tenu de l'instabilité apparente de leur vie professionnelle.
M. Michel Le Scouarnec. C'est vrai !
M. Loïc Hervé. La question de la pérennisation des contrats saisonniers est tout aussi lancinante. Dans la loi Montagne de 1985, le chapitre IV prévoyait des décrets d'application pour faciliter la pluriactivité et la reconduction des contrats saisonniers. Près de trente ans après, la situation n'a pas évolué.
Quid de la formation ? Le compte formation professionnelle semble totalement inadapté à la situation des travailleurs saisonniers. In fine, les employeurs, qui ne trouvent plus de travailleurs suffisamment qualifiés, en sont réduits à se tourner vers la main-d'œuvre étrangère. Idem en matière de pénibilité : les dispositions législatives sont tout aussi inadaptées, dans la mesure où elles prennent en compte des seuils annuels pour ouvrir d'éventuels droits à un départ anticipé à la retraite. Enfin, l'obligation d'avoir une mutuelle professionnelle oblige les saisonniers à gérer plusieurs contrats qu'ils doivent régulièrement résilier.
On le voit, les lois sociales, même les plus récentes, ne prennent pas en compte la multiactivité et le cumul de contrats.
Face à l'absence de statut juridique et social du saisonnier, employeurs et collectivités ont cependant tenté de réagir. Les exemples en sont nombreux. Pour ma part, je n'ai pas à aller chercher bien loin. Dans mon département, des stations de sports d'hiver ont acheté des immeubles pour y aménager des appartements à destination des saisonniers.
Par ailleurs, les maisons des saisonniers, les espaces saisonniers ou maisons de la saisonnalité se sont multipliés. Saisonniers et employeurs peuvent s'y informer sur toutes les questions liées à la recherche d'emploi, de logement et à la vie dans les stations.
On peut encore citer le partenariat entre les communes de bord de mer, qui prévoit un échange de saisonniers, le Forum des saisonniers organisé depuis douze ans à Saint-Lary-Soulan, l'ouverture d'un guichet initiative pluriactivité emploi, ainsi que la mise en place de Perennitas, un logiciel de gestion de la saisonnalité et de la pluriactivité sur un territoire donné.
On ne peut que saluer ces initiatives. Elles ont toutefois leurs limites : elles ne peuvent complètement remédier à l'absence de statut du travailleur saisonnier.
Ce statut, il appartient aux partenaires sociaux et au législateur de le mettre urgemment en place. De nombreux rapports sont là pour les inspirer : celui d'Hervé Gaymard en 1994, celui d'Anicet Le Pors en 1999, d'Alain Simon en 2003, de François Vannson en 2011 ou, le dernier en date, celui de la mission conduite par François Nogué au mois de novembre 2013. Ces rapports formulent des propositions très concrètes.
L'heure n'est plus aux rapports. Les travailleurs saisonniers attendent qu'une impulsion politique soit donnée.
Monsieur le secrétaire d'État, entendez-vous demander aux partenaires sociaux d'aboutir à un résultat sur ce sujet, quitte à intervenir ensuite sur le plan législatif en cas d'échec des négociations ou, au contraire, pour pérenniser les accords dans la loi ?
L'une des principales demandes des travailleurs saisonniers est la clause de reconduction automatique de leurs contrats.
Mme Annie David. Tout à fait !
M. Loïc Hervé. Cette question pourrait être prioritairement examinée. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et de l'UMP. – Mme Catherine Génisson applaudit également.)